« Le médecin doit appliquer les tarifs, un point, c’est tout. »

Citation de Martin Winckler, 5 janvier 2008.

Par Marlène Collineau (49)

C’est une poignée d’internes qui, à Angers, ont suivi l’appel à la grève du Bloc, organisation corporatiste, qui s’oppose à l’accord sur l’encadrement des dépassements honoraires. Au CHU, ce sont quelques dix-sept internes (sur 247) qui se sont déclarés grévistes.

Cette mobilisation, de quelques uns contre l’intérêt de tous, doit nous interpeller. Ces futurs médecins estiment leur cadre d’emploi, la médecine libérale, menacée. Ils militent activement pour la liberté d’installation et pour l’assouplissement des règles qui régissent leur métier.

La lutte des médecins-chefs d’entreprise

La réalité, c’est que ces futurs médecins veulent bénéficier des mêmes avantages que leurs aînés, notamment ceux des chirurgiens libéraux. Ces avantages qui ont accrus les déserts médicaux comme la fracture médicale. Ils veulent pouvoir s’installer y compris là où il n’y a pas besoin de particiens, ils encouragent la concurrence dans le secteur médical, ils pratiquent des dépassements d’honoraires.

Les médecins en grève depuis lundi, ce sont des chefs d’entreprise dont le seul objectif est de faire du profit sur notre santé.

Un accord pourtant a minima

L’accord récemment signé sur l’encadrement des dépassements d’honoraires l’a été largement. CSMF, SML, MG France : tous sont tombés d’accord jeudi 25 octobre avec la proposition de Marisol TOURAINE. Elle prévoyait un accord a minima, consistant à interdire les dépassements d’honoraires dits « abusifs ».

Soyons clairs : les dépassements d’honoraires sont, par essence, abusifs. Le cadre fixé devrait se suffire. On invente ici une nouvelle règle qui serait d’interdire certains dépassements parce que vraiment, ils seraient trop choquants. S’il est vrai que la prise en charge par la sécurité sociale est à revoir, comment, nous socialistes, pourrions-nous laisser à penser qu’il est normal, que faute de mieux, un médecin ait le droit de dépasser les bornes, d’enfreindre les règles ?

Dépasser les honoraires avec « Tact et mesure »

En 2008, Martin Winckler, médecin-écrivain, revenait sur la notion de « tact et de mesure ». Le Code de la santé publique prévoit, en effet, que les honoraires d’un médecin doivent être définis avec « tact et mesure ». Il nous livrait ses propres réflexions, en tant que médecin libéral :

« Le gros problème c’est que cette expression n’est définie nulle part. Et pour cause. Car elle a pour but, essentiellement, d’appeler le professionnel concerné à « ne pas abuser » de sa position pour demander des honoraires excessifs […].

Attendre d’un médecin de fixer ses honoraires « avec tact est mesure » est une hypocrisie : le tact et la mesure n’ont rien de « naturels », ce sont des mots porteurs de valeurs de classe, des mots codés en usage dans la bourgeoisie la plus archaïque, et aussi arbitraires que le fait de poser les couverts de chaque côté de l’assiette, dans l’ordre centripète des plats qui seront servis.

« Avec tact et mesure » est une expression qui présuppose que le médecin, de par son statut, de par sa fonction, de par son éducation, sait toujours agir de manière appropriée à l’égard des patients qui le consultent, non seulement par son comportement, mais aussi en fixant le montant de ses honoraires. Autrement dit, encore une fois, cela sous-entend que c’est au médecin de décider, et qu’il est le seul apte à le faire. C’est une valeur de classe dominante. »

Des médecins juge et partie

Si la fixation des honoraires d’un médecin est laissée à l’appréciation même du médecin (voire à l’idée qu’il se fait de la société, aux valeurs qu’il engage dans son travail), alors effectivement la réglementation nationale ne sert à rien. Si le médecin est juge et partie, comment pourrait-il ne pas trancher en sa propre faveur ? Pourquoi un chef d’entreprise se fierait-il à un tarif réglementé s’il n’y est pas strictement soumis ?

Les médecins, notamment les chirurgiens libéraux ne vivent pas chichement. Ils n’ont pas de difficultés financières au quinze du mois. Il n’en reste pas moins qu’ils ont des conditions de travail difficiles. Cependant, interrogeons-nous sur le débat qui secoue les internes en ce moment même. Aucun de ceux-ci ne prend la parole pour demander plus de réglementations, pour réclamer du travail partagé, pour ré-inventer la profession, pour intégrer les dimensions sociales nouvelles du médecin libéral, notamment les réalités familiales des femmes-médecins de plus en plus nombreuses.

L’intérêt de quelques uns contre l’intérêt de tous

Ces grévistes ne veulent que gagner plus. Ils sont même prêts pour cela à travailler plus. Ce n’est pas notre conception du travail : nous voulons travailler moins, mieux, tous. Nous voulons que le droit du travail et les dispositions réglementaires soient respectés. Et nous voulons, par dessus tout, que chacun d’entre nous puisse avoir accès aux soins, partout sur le territoire français, aux tarifs conventionnés. Pour cela, « Le médecin doit appliquer les tarifs, un point, c’est tout. ».

Le site de Martin Winckler : martinwinckler.com

One Response to « Le médecin doit appliquer les tarifs, un point, c’est tout. »

  1. terrasse says:

    Monsieur Winckler, en tant que patiente, j’attends du médecin une bientraitance qui suppose
    1) qu’il prenne le temps nécessaire à la consultation (<20mn c'est de la mal traitance)
    2) qu'il prenne soin AUSSI de lui par des temps de repos sans enchaîner la clientèle à tours de bras
    et je me demande alors :à 23euros la consultation, comment est-ce possible pour lui?

    pourtant je suis smicarde, c'est pourquoi quand j'ai besoin d'une visite médicale, je me mets un peu à la diète de façon à me payer une consultation médicale "digne de ce nom.
    en effet je pense qu'il ne s'agit pas de travailler moins en prenant le temps mais de travailler mieux, au bénéfice des patients

    Avec tout mon respect
    Marie

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