Le salariat ne veut pas d’une gauche qui gagnerait par défaut

Tribune de l’Offensive Socialiste parut dans Marianne
Au risque de choquer rédactions et salons, la tâche politique de l’heure n’est pas de commenter l’un de ces nombreuses enquêtes qui annoncent la baisse de François Hollande dans les sondages, mais bien de comprendre pourquoi le salariat est aujourd’hui en pleine interrogation sur son choix décisif qu’il fera au soir du 22 avril 2012.
L’esprit bonapartiste de cette Ve République aux allures monarchistes à peine voilées ne soumet à son choix rien d’autre qu’une gamme de personnalités plus ou moins loufoques. Et fatalement, cette équipée baroque de roitelets en devenir est suivie de son cortège de petites phrases, d’exclusivités pipoles, d’accords politiques concluent à la petite semaine. Mais, le 22 avril 2012, il faudra malgré tout choisir.
Choisir ? « Pour quoi faire ? C’est Hollande qui va gagner, c’est sûr. On vient de subir cinq ans de Chirac et autant de Sarko, les primaires ont été un succès phénoménal. En plus, si ca se trouve, Marine sera au second tour face à François. Alors là, c’est gagné à 100 %. » !
Sauf que voilà… Que propose-t-on aux salariés de ce pays qui souffrent depuis dix ans des coups de boutoir de la droite ? De donner du sens à la rigueur ? De ne pas revenir sur les lois scélérates et antisociales de la droite ? De baisser les cotisations patronales ? Toutes ces recettes sociales-libérales qui ponctionnent un peu plus encore le porte-monnaie des salariés pour permettre à la bande du Fouquet’s de vivre grassement doivent cesser et faire place nette à une véritable politique de rupture avec le capitalisme, une politique de transformation sociale, qui n’hésiterait pas à reprendre la main sur ce sacro-saint « marché » qui a largement dépassé sa date de péremption.

D’abord l’unité de toute la gauche

Le salariat ne veut pas d’une gauche qui gagnerait par défaut, face à une droite devenue trop dure. Les entrées par effraction à l’Élysée ne présagent jamais rien de bon. Mais c’est pourtant ce qu’on veut nous faire croire.
« Le PS va gagner parce que la droite est au pouvoir depuis trop longtemps », voilà ce que l’on entend ça et là sur les ondes ou sur le net. Le tout paré de la vertu du « bon sens ».
Mais, même au pays de Descartes, ce n’est pas forcément au monde la chose la mieux partagée. Notre perspective paraîtra sûrement folle à ceux qui savent tout, mais elle a au moins le mérite de coller aux exigences des 24 millions de salariés de ce pays. Parvenir à unir toutes les forces politiques et sociales de gauche, telle est pour nous la clé du succès.Aux antipodes d’un accord signé sur un coin de table avec marchandages de postes aux législatives, ce que nous voulons, c’est un programme commun de toute la gauche, sans exclusive, sur la base des revendications des salariés : hausse des salaires, retraite à 60 ans, salaire maximal, services publics, logement. Nous, on connaît la chanson, alors, François, reprend au moins le refrain ! L’unité de toute la gauche ne doit pas être un simple accord technique avec les écologistes aujourd’hui et une discussion avec les camarades du Front de Gauche au soir du premier tour.
Un programme commun, ça se murit, ça se travaille dans un esprit collectif de reconquête en faveur de notre camp social. Ne pas débattre avec Jean-Luc Mélenchon serait une erreur. Il est prêt à nous rejoindre, il l’a dit. Si on coupe la main tendue à Bayrou, il le fera. Et si la gauche est unie dans les plus brefs délais, la voie vers la victoire sera grande ouverte.
Les épisodes politiques que nous venons de vivre ont été désastreux pour notre famille politique. Au lieu de dénoncer le deuxième plan de rigueur, la TVA antisociale, la hausse du coût des mutuelles, le jour de carence supplémentaire, la réforme de l’évaluation des enseignants, la curée contre les malades forcément fraudeurs, la nouvelle attaque contre les 35 heures, le deuxième discours de Toulon -du grain à moudre, il y en a-, la gauche est apparue divisée et incapable de parler d’une même voix pour défendre les salariés préférant les quolibets dignes des bacs à sable des cours d’école de la politique. Il est temps de siffler la fin de la récré.

Mettre le social et le travail au cœur du débat politique

La droite le sait bien, on gagne une élection lorsque l’on maîtrise son agenda politique et que l’on place ses thématiques de campagnes au cœur du débat public. En 1995, la fracture sociale a permis à Chirac de parfaire son image de radical-socialiste, sauce IIIème République, tout en droitisant un Balladur encore fragilisé par les manifs anti-CIP. En 2002, le fameux « sentiment d’insécurité », affublé de sa non moins célèbre « tolérance zéro », a permis à Le Pen d’être au second tour alors que toute la gauche était majoritaire au premier. En 2007, Sarko s’est appuyé sur le triptyque « valeur travail, identité nationale, sécurité » pour mieux aspirer les voix lepenistes et apparaitre invincible dès le premier tour pour gagner au second. À aucune de ces trois élections, la gauche n’est parvenue à mettre en avant les thématiques comme les salaires, l’éducation, le logement et la sécurité sociale dans le débat politique. C’est pourtant celles-ci qui résument bon gré mal gré les fameuses « attentes prioritaires des Français ». Le salariat se détourne de la gauche parce qu’elle s’est précédemment détournée de lui. C’est Le Pen, père ou fille, avec ses discours rances aux extraits naturels de fascisme, qui récupère la monnaie (en franc, s’il vous plaît) et, à la fin du match, c’est toujours la droite qui gagne.En 2012, ce n’est pas sur les questions du nucléaire, de l’immigration, ou de l’insécurité que la gauche pourra l’emporter. La problématique centrale, c’est de résoudre la crise sociale. Ce sont ces 50 % de salariés français qui touchent moins de 1600 € par mois, ces cinq millions de chômeurs, ces deux millions de travailleurs pauvres, ces files d’attentes au Resto du cœur qui constituent la trame de ces élections à haut risque. Mais nous ne nous adressons pas aux seuls « exclus » du système capitaliste. Ce sont de larges franges du salariat qu’il faudra convaincre pour l’emporter. Ceux pour qui choisir entre se soigner correctement ou acheter du surgelé au hard-discount est une réalité quotidienne. Ceux pour qui réduire le chauffage n’est pas un geste « écolo-bobo », mais une obligation sociale. Ceux pour qui les agios imposés par les banques et qui engraissent leurs traders deviennent insupportables. Gagner la majorité du salariat, telle est notre objectif en défendant une politique qui leur prendra certes du temps et de l’énergie -car on ne vainc pas la finance sans coup férir-, mais qui leur rendra bien plus qu’ils n’auront donné. Car les salariés de ce pays ne sont pas des idiots. Si nous proposons à leurs suffrages une politique qui n’est pas conforme avec leurs intérêts, ils s’abstiendront comme l’ont déjà fait avant eux les salariés allemands, italiens, grecs, espagnols et portugais au grand dam de sociaux-démocrates bien trop ternes pour faire face à la droite populiste.

La gauche ne pourra pas échapper non plus à la question de la dette souveraine. Démontrer que c’est le capitalisme lui-même qui est responsable de sa propre crise est pourtant chose aisée. Dire que c’est l’abondance des crédits qui s’est substituée aux hausses de salaire pour permettre aux salariés de survivre n’est pas un gros mot. Pas plus que de dire que ce sont les cadeaux fiscaux pour les riches et les exonérations de cotisations patronales qui ont grevé les comptes. Affirmer sans fausse honte que ce sont les politiques de dérégulation dictées par les marchés et mises en œuvre servilement par les traités internationaux qui ont accéléré la spéculation financière et qui ont mené au krach financier ne tient pas du discours minorisant, puisque c’est la vérité crue que les travailleurs du monde entier reçoivent quotidiennement  en plein visage depuis plus de 3 ans. Dire cela, c’est ouvrir la voie vers l’alternative socialiste en refermant la parenthèse ouverte en 1983 et que la gauche peine depuis si longtemps à refermer pour de bon. Dire cela, c’est combattre Sarko qui, dans son discours-show de Toulon, n’a rien trouvé de mieux à faire que d’ériger la retraite à 60 ans et les 35 heures en boucs-émissaires de la crise économique. C’est aussi combattre Guéant, marchant une fois de plus sur les plates-bandes du Front et réduit à stigmatiser les immigrés pour expliquer le record historique atteint par les chiffres du chômage. Gagner la bataille culturelle est donc une nécessité absolue pour l’emporter.

Redistribuer les richesses, tout de suite !

Les discours les plus enflammés sont parfois aussi les plus creux. Alors pas de  phrases lyriques sur les « sécurités durables » et encore moins sur les « sacrifices nécessaires » ! « Du pain et pas de discours », comme l’écrivait Brecht, voilà ce que veulent les salariés. L’augmentation des salaires : ça, c’est du sûr, du concret pour les salariés. Un programme commun peut mobiliser les masses. Mais décréter la retraite à 60 ans sans décote, ça, c’est changer la vie. Il ne faudra pas se satisfaire d’une campagne où les propositions seront ancrées à gauche. Ce que les salariés veulent, c’est, du palpable tout de suite. En 2007, Sarko n’a pas flanché lorsqu’il devait satisfaire les désidératas de ses amis riches qui avaient misé des millions dans sa campagne.La loi TEPA, qui résume a elle seule la substance de la « pensée » sarkozyste a ensuite été adoptée au pas de charge, dès l’été. La gauche, si elle l’emporte, devra elle aussi envoyer un signal aux salariés. Il revient aux militants de la gauche du Parti socialiste, d’ouvrir le débat sur le programme dont la gauche a besoin. Les bases sont solides et elles sont connues. Ce sont les aspirations profondes des huit millions de manifestants mobilisés face à la contre-réforme des retraites, des trois millions de votants aux primaires citoyennes, des milliers de citoyens mobilisés qui se pressent aux nombreux débats qui demandent un audit sur la dette… Toutes ces mobilisations, sans parler de celles à venir, dans l’éducation notamment, doivent converger vers des objectifs communs : unir l’intégralité du camp du travail et ancrer son programme à gauche pour chasser Sarkozy et sa bande du Fouquet’s !

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